C’est en septembre 1994 que paraît « À 139 pas de la mort ». Il s’agit - si l’on considère « La Malédiction de Barberousse » comme le premier volume de la série - du douzième roman mettant en scène l’inspecteur Archibald Hurst et le docteur Alan Twist, et l’on y trouve, comme d’habitude, un crime impossible.
L’histoire commence avec un jeune juriste, Nevile Richardson, en quête d’aventures. Alors même qu’il vient d’exprimer son désir de vivre quelque chose d’excitant, il aperçoit une jeune femme qui semble effrayée. Comme un homme la suit, Neville les prend en filature à son tour, et est témoin d’une conversation entre la femme et l’homme, qui parle d’une voix cassée. Après le départ de l’homme, Nevile s’assoit à côté de la jeune femme qui le prenant pour quelqu’un d’autre commence à lui parler d’un rendez-vous pour le 16 à 21 heures. Elle est sur le point d’en préciser le lieu quand elle se rend compte de son erreur; elle n’achève pas sa phrase et demande Nevile de tout oublier. Il n’en fait rien, et tente de déterminer le lieu du rendez-vous en s’appuyant sur les paroles et les actes énigmatiques de la jeune femme…
De leur côté, le docteur Twist et l’inspecteur Hurst reçoivent la visité d’un nommé John Paxton., qui leur raconte une histoire digne de Conan Doyle ( « La Ligue des Rouquins » en particulier). On le paye pour livrer une lettre à une certaine adresse et en rapporter une autre, en empruntant un chemin particulièrement détourné, dans des vêtements fournis par le commanditaire. Comble de l’étrange, Paxton ayant ouvert les enveloppes n’y a trouvé que du papier blanc !
Une autre personne fait état d’une expérience similaire, et Nevile Richardson vient consulter les détectives au sujet du mystérieux rendez-vous. Le docteur Twist apporte finalement une réponse, et Nevile se rend au lieu du rendez-vous… pour y trouver John Paxton, assassiné… dans une pièce remplie de chaussures!
Il ne s’agit pas là du crime impossible, mais je n’en dirai pas davantage afin de ne pas déflorer l’intrigue. Quelques mots cependant sur les caractéristiques de ce crime impossible, qui pose deux problèmes en un. Le premier étant de savoir comment quelqu’un a pu entrer dans une maison complètement fermée de l’intérieur et en sortir, en laissant la clef dans la serrure de la porte d’entrée. Le deuxième étant la manière dont l’assassin n’a laissé aucune trace sur le plancher qui n’a pas été balayé depuis cinq ans.
Quelque chose qui nous manque sur les lieux du crime… |
J’avoue que j’ai beaucoup aimé la situation impossible. Le truc de la chambre close est bien trouvé — une variation astucieuse sur une vielle solution. J’ai apprécié également l’explication du problème du plancher. La solution est ingénieuse et l’indice majeur, bien en évidence.
Il y a malheureusement un hic : les indices donnés au lecteur ne sont pas suffisants pour conclure que l’assassin est bien X plutôt que Y. La solution apportée par le Dr. Twist est persuasive, mais je me suis demandé après coup : « Comment a-t-il pensé à cela ? » Le Grand Détective ferme les yeux, hoche la tête plusieurs fois, s’exclame « Eureka! » et dit au pauvre inspecteur d’arrêter le suspect le plus improbable.
Mais c’est un problème qui ne me dérange pas trop, car Halter nous donne en revanche tous les indices permettant de répondre au « comment », question en l’occurrence beaucoup plus intéressante que le « qui », et la solution est tout à fait acceptable de ce point de vue.
La lecture est assez rapide et passionnante — je ne pouvais pas m’arrêter de lire! Mais on discerne aussi les limites du « style Halter ». Ses personnages sont assez falots, travers qu’il partage avec John Dickson Carr. Mais ce n’est pas tout : je trouve que les personnages semblent plus français qu’anglais. Ils ne sont anglais que de nom (et encore, pas toujours). Je pense que M. Halter est un vrai anglophile— on trouve par exemple plusieurs passages vraiment intéressants sur l’histoire anglaise. Mais il n’arrive pas à saisir la psyché anglaise.
L’atmosphère du livre est excellente, mais pas aussi effrayante qu’elle aurait pu l’être. Halter prend une direction différente, et le résultat est intéressant— le livre est en quelque sorte une fantasmagorie. Les évènements ne cessaient jamais de m’intriguer : on y trouve des rendez-vous mystérieux, un fantôme qui gémit de son tombeau, un homme mort qui profite encore de sa maison, et même une gouttière volée! (Il ne manque que des pirates et des plans pour une nouvelle bombe atomique.) Le ton est donné d’emblée. « Vous voulez des aventures? » « Eh bien, vous les aurez! »
Dans le 42ième chapitre, Halter offre une digression sur les romans d’énigmes. J’ai trouvé le discours fascinant, et je partage les sentiments du docteur Twist quand il évoque le triste état actuel du roman d’énigme. La partie consacrée aux chambres closes est intéressante, mais un peu trop brève— le docteur Twist offre quelques exemples et c’est tout. J’aurais aimé en savoir plus sur les idées de Twist en matière de crimes impossibles, car il est évident que le personnage partage les opinions de son créateur. L’idée d’une causerie à l’intérieur du roman n’est pas nouvelle. On peut en trouver de bons exemples dans Miracles à vendre (Death from a Top Hat) de Clayton Rawson, Neuf fois neuf (Nine Times Nine) d’Anthony Boucher, et dans Trois Cercueils se refermeront (The Three Coffins) de John Dickson Carr (la meilleure à mon avis).
J’aime beaucoup l’attitude de M. Halter envers le roman policier; il n’hésite pas à défendre les grands maîtres du passé, comme John Dickson Carr. A une époque où le genre « noir » domine le marché, c’est un vrai plaisir de rencontrer un auteur qui suit les traditions de « l’Age d’Or » et le revendique. Je tiens dans l’ensemble l’œuvre de M. Halter en très haute estime : son imaginaire est fascinant et ses crimes impossibles sont aussi intrigants que ceux de son idole John Dickson Carr. Ses intrigues sont haletantes et je les suis toujours avec intérêt. Carr sera toujours mon auteur favori, mais Halter est son digne successeur.
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