On se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. ... Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie.

— Paul Halter, À 139 pas de la mort

vendredi 20 janvier 2012

Entretien avec Paul Halter

Cet entretien ne serait pas possible si ce n’était pas pour M. John Pugmire—merci beaucoup. Je veux aussi remercier M. Paul Halter pour cet entretien. Il a répondu mes questions avec beaucoup de patience et je lui remercie pour son temps. J’espère que mes lecteurs apprécieront cet entretien avec un Grand Maître du crime !

***

Vous avez écrit beaucoup de livres. On y trouve tant d’idées. Vous expliquez l’homme invisible dans Le Diable de Dartmoor, et le meurtre d’un maharadjah dans des circonstances complexes (trois portes fermées !) dans Le Tigre borgne. D’où tirez-vous vos idées ? Avez-vous un processus ? Pensez-vous d’une situation « impossible » en premier ou d’une solution ? Et quand vous avez finalement trouvé une idée, quelles étapes prenez-vous ?
  
Comme vous vous en doutez, c’est une question qu’on me pose souvent, et j’avoue être assez embarrassé pour y répondre. Les gens croient souvent que les auteurs de polars ont une méthode secrète et très précise pour concevoir leurs intrigues. Il n’en est rien, en tout cas en ce qui me concerne. Chaque nouveau roman est un nouveau défi, avec son cortège de doutes et de questions, ses pièges, ses obstacles… Un travail de longue haleine en tout cas, qui exige une forte concentration pour rester dans l’esprit de l’énigme, dans le climat ambiant. Néanmoins, on peut dégager quelques lignes directrices, dont la première serait sans doute l’atmosphère générale. C’est-à-dire le thème choisi. Prenons par exemple, puisque vous le citez, le cas du Tigre Borgne. Là, le thème retenu était le film de Fritz Lang, ce chef-d’oeuvre absolu du Septième art qu’est le Tigre du Bengale, ce que nul ne contestera j’en suis sûr. J’avais envie d’écrire une histoire basée sur ce postulat. Donc, le décor était déjà planté. Je me suis dit ensuite qu’il serait intéressant, pour corser l’affaire, de mettre en place un super crime en chambre close, une chambre triplement close ! Laissons donc vaguer notre imagination, en utilisant le matériel local, le palais, le pavillon au centre du lac, les crocodiles, l’éléphant, le rat (animal sacré)… Et puisque nous sommes dans une Inde plus rêvée que réelle, en somme un conte, il faudra bien entendu y introduire un prince, donc un maharadjah, et une jolie princesse… Et un détective, bien sûr… sans parler de l’incontournable fakir aux pouvoirs supranormaux. (J’ai toujours été très impressionné par le fakir des Cigares du Pharaon). À ce stade, les personnages principaux sont déjà esquissés. Des personnages à la limite de la caricature, mais toujours efficaces, bien présents dans l’imaginaire collectif. Vient ensuite l’habillage. Puis la mise en place des fausses pistes.  Toujours laisser une issue dans l’esprit du lecteur, pour mieux la battre en brèche par la suite. Prévoir également des retournements de situations, et cela assez tôt, car il sera difficile de faire des modifications de structure pas la suite. À ce stade, l’élaboration de la trame devient très technique. Il est impératif de reconsidérer régulièrement l’ensemble de l’édifice, sans s’écarter de l’ambiance générale, qui va donner la couleur de l’histoire, tout en peaufinant les détails. Voilà grosso modo les différentes étapes de l’élaboration d’une trame. Mais j’avoue procéder parfois de manière différente, de commencer par une astuce de chambre de close, et de l’habiller progressivement. Tout cela n’est guère original, j’en conviens, mais c’est ainsi que je procède. Une dernière précision pour dire que parfois tout se met en place très rapidement – presque par magie ! – et d’autre fois, c’est extrêmement laborieux. L’inspiration ne se commande pas, hélas !

Votre carrière est remarquable, et votre site web français inclut un article de Philippe Fooz et un de Roland Lacourbe, analysant vos thèmes préférés. Il y a bien sûr la chambre close/le crime impossible, mais on y trouve aussi des fantômes meurtriers, lieux hantés, malédictions, prophéties, etc. Y’a-t-il un thème qui vous fascine particulièrement ? Un crime impossible que vous voulez résoudre particulièrement ?

Un thème qui me fascine particulièrement est sans conteste le paradoxe temporel. Il est hélas difficile à traiter. Je ne l’ai abordé qu’une fois, dans « l’Image trouble ». Il s’agit d’une alternance de deux récits, avec des protagonistes très semblables. On pourrait penser à un cas de réincarnation collective, mais il n’y a qu’un demi-siècle d’écart entre les deux histoires. Dans la première, un personnage disparaît comme par enchantement (dans une pièce close évidemment), au moment même où, dans la seconde, son sosie disparu depuis fort longtemps réapparaît soudain. Comme s’il avait franchi le miroir… La situation est tellement invraisemblable que même une thèse fantastique pourrait difficilement l’expliquer. Les paradoxes temporels proposent une grande variété de situations, la plus classique étant celle d’un homme qui remonte dans le passé pour tuer son grand-père. Les solutions rationnelles pour expliquer ces prodiges, en revanche, ne sont pas légions.

Quant à mon « crime impossible » de prédilection, ce pourrait être le postulat de base, à savoir un homme assassiné dans une pièce fermée de l’intérieur. J’aimerais trouver une solution parfaite, absolument inédite. Il y a longtemps que je travaille là-dessus. Je ne dirai pas en vain, car j’ai trouvé tout récemment une variante qui répond à ces critères. Un seul problème : elle est un peu technique, et nécessiterait un plan pour proposer une explication claire. C’est pourquoi j’hésite encore à l’introduire dans un récit.

Je pense qu’un aspect important d’un roman est le titre. C’est la première chose qu’un lecteur voit. Un auteur devrait avoir un bon titre pour attirer de l’attention. Un titre excellent joue avec notre imagination comme lecteurs— on se demande toutes sortes de questions et finalement, on prend le livre dans nos mains et on tourne les pages pour découvrir le secret du titre. Créer un bon titre est un talent rare, et les titres de vos livres sont parmi les meilleurs que j’ai entendus ! J’aime surtout les titres L’Arbre aux doigts tordus, Le Brouillard rouge, La Chambre du fou, Le Cercle invisible, et Le Cri de la sirène. (J’ai déjà acheté tous ces livres à cause de leur titre !) Alors : quel est le secret ? Comment inventez-vous le titre ? Quelqu’un le fait pour vous, peut-être ? Y-avait-il un cas dans lequel vous avez écrit un livre pour utiliser un titre  spécifique ?

Le choix du titre est rarement un problème. J’ai toujours l’impression qu’il s’impose, et je n’y ai pas prêté attention jusqu’au jour où un critique m’a fait une réflexion semblable à la vôtre. Rétrospectivement, je me suis aperçu que j’avais tendance à utiliser un vocabulaire mobilier (porte, chambre, rideaux) et des chiffres. (La Quatrième porte, La septième hypothèse, etc.) Sortis de leur contexte, ces mots ne seraient guère évocateurs. Mais dans le cadre des romans policiers, ils prennent une dimension plus sinistre. Il vrai que parfois, on m’a aidé. C’est Hélène Amalric (ancienne directrice littéraire du  Masque) qui a transformé ma « Dernière » porte  en « Quatrième ». Je me souviens que sur le coup, j’étais ulcéré, pensant   que cette initiative révélait toute l’astuce. En fait, il n’en était rien et le choix était judicieux. « L’image trouble », également, me fut proposée par une amie,  alors que j’avais passé des heures à décliner les mots « image » et « photo » sans trouver le bon adjectif.  Si j’ai écrit un livre pour utiliser un titre spécifique ? Oui. Une fois. La Mort derrière les rideaux. J’avais très envie d’écrire une histoire avec une chose horrible derrière un rideau. Ce qui nous ramène à votre première question concernant ma méthode d’écriture : elle varie constamment. La toile de Pénélope, elle, par exemple, est le fruit d’un défi que m’a lancé mon ami Vincent Bourgeois, grand spécialiste belge de l’énigme impossible : mettre en œuvre une chambre close scellée par une toile d’araignée. Roland Lacourbe, autre caméralogiste émérite (si ce n’est le plus grand !), m’a fourni quantité de points de départ en évoquant des faits divers insolites, avec un pouvoir suggestif que ses lecteurs connaissent bien. Je lui dois Le Clown de minuit, la Hache, la Septième hypothèse, entre autres. Et puis, aussi, nos réunions entre amis du crime, nos longues discussions passionnées sur le sujet, qui ont engendré d’autres énigmes. Mais nous n’allons pas revenir sur cette question. Passons à la suivante…

Tous ces histoires de créations sont fascinantes— j’espère que vous me pardonneriez si je vous pose quelques autres questions liées à ce thème. Alors, voici la majeure : comme John Dickson Carr avant vous, vous avez deux détectives principaux dans vos livres. Il y a le docteur Alan Twist (et n’oublions pas son collègue l’inspecteur Archibald Hurst) ainsi que le dandy détective Owen Burns (et son collègue, le narrateur-« Watson » Achille Stock). Préférez-vous un de vos limiers ? Pourquoi et comment avez-vous créé Burns ?

J’avais également envie d’écrire des histoires à l’époque de Sherlock Holmes, il me fallait donc un autre détective. Je n’ai pas eu à chercher longtemps, la personnalité d’Oscar Wilde m’a semblé comme une évidence. J’étais même surpris que nul n’y eût songé avant moi ! Cet esthète exigeant, qui tombe en pâmoison devant une faute de goût, je l’imaginais parfaitement dans le rôle d’un détective, prêt à aider la police, mais uniquement pour des affaires dignes de lui, c’est-à-dire des crimes impossibles très élaborés. Et c’est ainsi qu’est né Owen Burns. Certes, je suis très attaché à mon Dr Twist (qui dans mon esprit ressemble physiquement au héros de BD Clifton, et qui comme lui adore les chats). J’avoue avoir une petite préférence pour lui. Mais je trouve plus amusant de mettre Burns en scène. Son personnage de prétentieux excentrique permet beaucoup plus de fantaisie, un humour pince-sans-rire, qu’il est difficile de placer autrement. Les romans à énigmes sont des histoires inquiétantes par définition, qui supportent mal le burlesque (sauf par le biais de ses détectives). Avec Burns, aussi, les criminels-artistes qu’il affronte paraissent presque légitimes. Cela me permet de surenchérir dans l’extraordinaire et l’incroyable, pour mon plus grand plaisir, et je l’espère, celui du lecteur.

Un des thèmes qui semblent vous fasciner est la mythologie grecque. On la voit surfacer plusieurs fois dans vos livres, et en 1997, vous avez écrit Le Crime de Dédale, utilisant les mythes grecs comme base (le mort du Minotaure, l’envol de Dédale et Icare, etc.). J’ai trouvé l’énigme excellente (la solution est élégante !) et l’idée centrale est fascinante. Rappelez-vous comment vous avez eu l’idée pour ce livre ? Considérez-vous le livre un succès?  Y-avait-il des éléments que vous avez essayé d’améliorer dans Le Géant de pierre (1998) et Le Chemin de la lumière (2000) ?

J’avais lu à l’époque un article qui mettait en relation étroite l’énigme de l’Atlantide et la civilisation minoenne, donc l’île de Santorin et la Crête. La démonstration était brillante et le texte m’a  enthousiasmé. J’ai aussitôt eu envie de me rendre sur place, mais ça n’a pas été possible. J’ai donc commencé l’écriture du crime de Dédale comme palliatif. À mi-roman, je me suis envolé pour la Crète. L’île m’a séduite, et c’est l’esprit baigné de lumières méditerranéennes que j’ai pu achever le "Crime de Dédale" dès mon retour. Oui, j’aime bien cette histoire, qui tient également du récit d’aventures. (Je suis fan d’Indiana Jones et de Bob Morane !). Après cela, j’ai vraiment eu envie de continuer dans cette voie. Maîtrisant mieux le sujet, j’ai attaqué Le Géant de Pierre, puis le Chemin de la lumière. C’est dans ce dernier que la part minoenne est la plus importante, et j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à écrire cette histoire. Il y a tout ce que j’aime : « énigme et meurtre en lieu clos » bien sûr, mais aussi « aventures », « mythologie », « rêve», « quête mystique », « archéologie » « Égypte antique », « voyage temporel »… Je ne vous cacherai pas que certains de mes lecteurs commençaient à être inquiets ! J’ai donc vite renoué avec mes premières amours: les ruelles et le fog de Londres, dans « l’Allumette sanglante ». Ensuite, je me suis de nouveau permis une petite fantaisie orientale, avec « Le Tigre du Borgne », puis retour en Angleterre avec « La ruelle fantôme ». C’est ce qu’on appelle voyager en chambre close !

Et bien sûr, c’était après un « pèlerinage » en Angleterre que vous avez écrit un de mes livres préférés, Le Diable de Dartmoor ! L’ambiance est excellente, et l’énigme contient un des meilleurs « crimes impossibles » de tous les romans policiers ! Quelles étaient vos inspirations en écrivant cette histoire ? L’énigme, était-elle facile à créer ou plutôt difficile ?

Concernant « Le Diable de Dartmoor », j’ai gardé le souvenir d’une certaine facilité d’écriture. Les deux livres précédents « La Septième hypothèse » et « La lettre qui tue », présentaient à mes yeux des trames plus complexes, et m’avaient donc demandé plus de concentration. Après ces deux romans un peu atypiques, j’avais envie de produire une histoire de facture  résolument classique. Et c’était la première fois que je me suis rendu préalablement sur les lieux du crime, cette fameuse lande de Dartmoor qui a hanté des générations de lecteurs !

Non seulement je n’étais pas déçu, car l’endroit est magique et tel que je l’imaginais, mais je suis revenu plein d’idées, ayant pris connaissance des nombreuses légendes qui imprègnent la région. Parmi celles-ci, celle de L’homme invisible, que j’ai retenue comme thème central. La trame a dû être élaborée très rapidement, car j’ai commencé l’écriture dès mon retour. Je suis très heureux qu’elle vous ait plu. Comparativement aux deux autres (La Septième hypothèse et La lettre qui tue), j’étais moyennement satisfait de mon « Diable ». Mais lorsque je l’ai relu pour l’adaptation en BD, donc avec plusieurs années de recul, il m’a semblé meilleur. J’ouvre ici une parenthèse pour signaler qu’il est toujours très difficile pour un auteur d’apprécier ses propres ouvrages, surtout à chaud. Et comment juger d’une astuce, lorsqu’on en connaît l’explication ? Il faudrait complètement oublier ses histoires… Ce que je n’espère pas tout de même !

Lesquels de vos livres vous donnent le plus de plaisir ? Quelles sont, pour vous, vos plus grandes réussites ?

Question difficile pour un auteur… et je me vois obligé de la nuancer. Pour ce qui est du plaisir de création, je citerai quatre titres : « La Malédiction de Barberousse » (c’était ma première tentative, fondée sur des souvenirs personnels), « Le Brouillard Rouge » (parce que j’adore le Londres victorien, ainsi que le thème principal de l'histoire), et « Le Géant de pierre » et « Le Chemin de la lumière » (qui m’ont fait rêver).

D’un point de vue policier, mes plus grandes réussites, à mes yeux, sont :
 
            « La Quatrième porte ». Une histoire assez courte, mais riche en mystères et fondée sur la troublante personnalité du magicien Harry Houdini. 

            « La Septième hypothèse », par son duel baroque entre deux maîtres ès crimes.

            « La lettre qui tue », par son caractère insolite et ses rebondissements.

            « L’image trouble », par son problème temporel.

Mais d’une manière générale, j’aime bien toutes mes histoires ! Encore heureux, me direz-vous, sinon comment un auteur pourrait-il espérer plaire à ses lecteurs ? J’avoue aussi avoir des points de vue changeants. Parfois, je préfère les enquêtes traditionnelles, c’est-à-dire sans trop d’effets de structure, comme par exemple « Le Diable de Dartmoor » ou « La Toile de Pénélope ». D’ailleurs pour mes autres lectures, c’est un peu pareil. Selon mon humeur et mes goûts du moment, mon opinion peut varier considérablement. Concernant Carr, par exemple, je me souviens avoir « déliré » en découvrant « Les Trois cercueils », et ne pas être vraiment entré dans l’histoire lors d’une seconde lecture. Réflexion faite, je devais être malade à ce moment-là… sinon, comment expliquer cette étrange indifférence devant un tel monument du crime ?

Votre site annonce deux nouveautés pour 2012 : Spiral et Le Voyageur du Passé. Aura-t-il des crimes impossibles dans ces livres ? Spiral semble être votre premier roman dans le monde moderne. Pourquoi avez-vous finalement décidé d’écrire un roman dans nos temps ?

Des crimes impossibles ? Oui. Dans « Le Voyageur du passé », il y aura plus exactement une disparition impossible. Un intrus est pris en chasse par un témoin, et va s’évanouir dans une pièce close. Il est vrai que l’intrus en question passe pour être un fantôme, ce fameux voyageur du passé, qui a fait un bond dans le temps d’un demi-siècle !

Dans « Spiral », il s’agit d’une chambre close tout à fait traditionnelle. Un étrangleur sévit dans la région de Dinard. Mlle Rose Lestrange, un médium réputé, pense pouvoir l’identifier. Pour cela, elle va s’isoler au sommet d’une tour, dans une pièce qui sera dûment scellée par les témoins. Deux heures plus, les scellés sont toujours intacts, mais Mlle Rose gît sur le sol, étranglée, au milieu d’un désordre indescriptible… L’histoire est contemporaine, certes, mais vous comprendrez à l’énoncé de ces quelques mots qu’elle s’inscrit dans un contexte d’énigme traditionnelle. Quant au choix de l’époque, c’est tout simplement celui de l’éditeur, « Rageot », qui va lancer dès mars prochain une série « Thriller » pour ados. C’était une commande et il y avait plusieurs contraintes (et évidemment, ce sont des ados qui mènent l’enquête). Je me suis donc efforcé de respecter ce contexte tout en y mettant ma touche personnelle. J’ai d’ailleurs considéré qu’il était de mon devoir d’initier la jeunesse au Mystère.

Vos livres ont commencé à paraitre en anglais. En premier il y avait La Nuit du loup, un recueil de nouvelles. Ensuite, un roman est paru (Le Roi du désordre), suivi par La Quatrième porte et Les Sept merveilles du crime. Malheureusement, vous avez eu des difficultés cherchant un éditeur, et finalement vous avez utilisé un service d’auto-publication. Pouvez-vous parler un peu du processus de la traduction ? Comment avez-vous commencé ? Pourquoi avez-vous choisi ces romans pour commencer la traduction de vos romans en anglais ? Avez-vous eu plus du succès avec des traductions dans des autres langues ? Et finalement, les résultats : sont-ils encourageants ? Peut-on s’attendre à plus ?

En ce qui concerne les traductions, il faut savoir que c’est une histoire d’éditeurs, et non d’auteurs. Car les demandes proviennent des maisons d’édition étrangères, et s’adressent à l’éditeur français, qui conclut les contrats. L’auteur n’a strictement rien à dire, et ne peut en aucun cas choisir ses traducteurs. Pour les USA, c’est un peu spécial. À part quelques nouvelles qui paraissent chez Ellery Queen Mystère Magazine, il n’y a eu aucune demande (hélas !) de la part des éditeurs américains pour mes romans. Mais là, j’ai la chance de connaître John Pugmire, mon traducteur actuel, qui s’est employé à promouvoir mes romans policiers aux USA. Je  sais qu’il a déployé beaucoup d’énergie, et depuis un certain temps déjà, et je lui en suis très reconnaissant. Pour ce qui est du choix des titres, cela dépend surtout de la question des droits.

Parmi les autres pays qui me traduisent, je citerai les éditions Mondadori, qui sont un peu le pendant du Masque en Italie. Près d’une vingtaine de titres parus. D’ailleurs, parmi les suivants, il y aura ce fameux « Diable de Dartmoor », que vous connaissez bien. Là aussi, je profite de l’occasion pour dire toute ma sympathie à mon traducteur italien, Igor Longo, qui est sans conteste un des plus grands spécialistes mondiaux de l’énigme. Une véritable encyclopédie du crime !

Si le roman à énigmes n’est plus très en vogue dans les pays occidentaux, il est en revanche très prisé dans les pays asiatiques. Le Japon a publié plusieurs de mes romans. Et à présent, la Chine également, qui sort plusieurs titres par an, par le bais de deux maisons d’édition, dont l’une s’occupe exclusivement des affaires du Dr Twist. J’ajoute que je possède là-bas un jeune et dynamique agent chinois, Fei Wu, que je salue au passage. Dans ce coin du globe, la situation est donc plutôt favorable. Quant à l’avenir ? Difficile de se prononcer. La roue tourne, et l’énigme redeviendra un jour à la mode. Mais quand ?

Comme vous le dites, le roman d’énigme n’est pas en vogue à ce moment. Comment vivez-vous votre (ahem) singularité au sein du milieu français du roman policier ?

Assez bien. Nager à contre-courant procure même une certaine ivresse. Et puis, je suis pour ainsi dire le seul à concocter régulièrement des romans à énigmes. Je n’ai donc aucune concurrence ! En somme, c’est à la fois un atout et un handicap. J’ajouterai également que mon cercle d’amis est très orienté roman policier classique, ce qui a tendance à (h)altérer mon point de vue, et j’ai l’intime conviction d’être dans la bonne voie. 

Que pensez-vous de la domination du « noir » sur la production nationale et du fait que les critiques et prix littéraires vous ignorent alors qu’ils adoubent des auteurs bien inférieurs ?

Si l’on y regarde de plus près, le « noir » est déjà en train de décliner. D’ailleurs beaucoup de personnes voient dans la série des « Experts » une version moderne de l’investigation holmésienne. Évidemment, j’aimerais bénéficier de plus de publicité. Vous me direz que cela est un peu de ma faute, que je ferai mieux d’écrire du noir-politico-social pour être dans le moule. Le problème est que cela ne m’intéresse pas du tout. Quel que soit le domaine, je pense qu’un auteur doit écrire ce qu’il aime, des histoires qu’il aimerait lire. Or j’aime bien l’aventure, le mystère et le roman populaire.

Quand vous dites que le noir est en déclin, quels auteurs pensez-vous prennent l’initiative dans cette direction ? Lisez-vous beaucoup, et si c’est le cas, quels sont vos auteurs préférés ? Y’a-t-il des auteurs/livres spécifiques que vous recommanderiez ?

D’une manière générale, je pense au polar franco-français, qui s’attache surtout aux questions sociales, et qui se sert du support polar pour embrigader les esprits. Bien sûr, je n’ai rien contre les études sociales, voire le militantisme. Mais dans ce cas, je préfère qu’on annonce clairement la couleur. Pour moi, le roman policier doit rester une littérature d’évasion.

En fait, je consommais énormément de romans policiers avant d’en écrire à mon tour. Aujourd’hui, j’aimerais en lire davantage, mais le temps me manque. Je me limite donc aux romans qu’on me recommande chaudement. Mes auteurs préférés, au risque de ne pas être original, sont Carr et Christie, ainsi que Chesterton et Fredric Brown. Bien que je sois un admirateur inconditionnel de Carr, je trouve qu’il est très inégal. On dirait qu’il a perdu le feu sacré après la Seconde Guerre mondiale. Il y a une différence considérable, par exemple entre La Chambre ardente et Le Spectre au masque de soie, qui est inutilement compliqué et ennuyeux au possible. Agatha Christie me semble beaucoup plus régulière, et à très bon niveau. J’adore Chesterton pour son sens de l’insolite et du bizarre. Et Fredric Brown est souvent génial.

Quant aux livres que je recommanderais, il y en a quantité. Le Mystère de la Chambre jaune et les Dix petits nègres sont des chef-d’œuvres absolus. Viennent ensuite toute une série de Carr, dont : la Chambre ardente déjà citée, La Police est invitée, la Maison de la peste, Celui qui murmure.

Concernant les livres contemporains, je citerai le Léviathan de Boris Akounine (merci Philippe Fooz de me l’avoir fait découvrir !), et l’exceptionnel Tokyo Zodiac Murders de Soji Shimada.

Merci beaucoup pour votre temps, M. Halter.

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