On se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. ... Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie.

— Paul Halter, À 139 pas de la mort

mardi 9 août 2011

Brunet Wieczorową Porą (1976; litt. « Un homme brun le soir ») — réalisation: Stanislaw Bareja


Le roman policier est de plus en plus populaire en Pologne. Pour comprendre pourquoi la Pologne n’a jamais eu un « Age d’Or », il faut connaître un peu l’histoire du pays. A la fin de la Première Guerre Mondiale, la Pologne redevint indépendante après 123 ans d’occupation. Entre 1772 et 1795, l’Allemagne, l’Autriche, et la Russie se sont « partagé » la Pologne, de sorte que jusqu’en 1918, la Pologne n’existait pas… en théorie, du moins. Les patriotes polonais refusaient de renoncer à  leur culture, et c’est pourquoi les polonais ont apporté leur soutien à Napoléon Bonaparte pendant les guerres napoléoniennes. Il est même mentionné dans le deuxième couplet de l’hymne national polonais.

C’est pourquoi la Pologne n’a pas participé à « l’Age d’Or ». Les polonais étaient trop occupés à reconstruire leur pays. Puis Hitler a envahi le pays, précipitant la Deuxième Guerre Mondiale. Après la guerre, un dictateur (Hitler) fut remplacé par un autre (Staline). Là encore, les circonstances n’étaient guère propices à un essor du roman policier. Il s’agissait de préserver une culture que les soviétiques essayaient d’éradiquer. (Un bon film sur le sujet est le Katyń d’Andrzej Wajda.)

C’est seulement depuis quelques années que le roman d’énigme est devenu populaire en Pologne : Agatha Christie est traduite en masse, ainsi que Erle Stanley Gardner. Les plus populaires romans policiers sont encore ceux avec du couleur politique, avec l’espionnage, des gouvernements malhonnêtes, etc. Mais on voit de plus en plus des romans plus « traditionnels », comme le livre Diabeł na wieży (« Le Diable sur la tour ») par Anna Kańtoch, qui mélange énigme policière et fantasy. Je n’ai pas encore lu le livre, mais les critiques sont enthousiastes, et j’ai demandé  à une amie qui habite la  Pologne si elle pouvait me le procurer.

Aujourd’hui, je voudrai parler d’un film polonais de 1976. C’était encore le temps du communisme, mais le film, Brunet Wieczorową Porą (« Un homme brun le soir ») est une comédie qui satirise beaucoup les conventions du roman d’énigme.

Michał Roman, un éditeur polonais, voit sa femme et ses enfants partir en vacances. Il espère que le weekend sera tranquille. Malheureusement, la soirée s’avère rien moins que calme — une gitane apparait à sa porte, et fait des prédictions étonnantes, la dernière vraiment effrayante. Elle dit que Michał rencontrera une personne avec des cheveux bruns le lendemain, et quand le soir arrivera, il le tuera. Elle part soudainement, laissant notre héros  vraiment effrayé.

Le lendemain, des évènements étranges se produisent. Le laitier trouve la montre de Michał, qu’il avait perdue—comme la gitane l’avait prédit. Les « numéros de la chance » qu’elle avait donnés à  Michał sont les numéros gagnants pour la loterie. Bref, tous les prédictions se réalisent, et Michał panique en se rappelant la dernière. Après plusieurs scènes comiques, il se trouve dans sa maison, tout seul… quand tout à coup, un homme aux cheveux bruns fait son entrée ! Michał le met promptement à la porte, et, heureux, va se coucher… mais pendant la nuit, un son le réveille, et par accident, il renverse une boîte remplie de couteaux… et  découvre l’étranger tué d’un coup de couteau dans le dos.

 Michał demande alors à son ami, Kazik Malinowski (joué par Wiesław Golas) de l’aider. Kazik explique rationnellement comment les prédictions de la gitane se sont réalisées, et les deux inventent un plan pour attraper le meurtrier. Les dernières scènes sont excellentes, avec un indice incroyablement stupide conduisant à la « vérité », et une chasse commence.

Le résumé semble exhaustif, mais je n’ai pas parlé des élements comiques qui occupent la plus grande partie du film. Les éléments de l’énigme sont plus ou moins comiques aussi— l’indice qui désigne le coupable est stupide, mais c’est le but. C’est une satire des  romans policiers  et surtout des films américains. Dans la dernière scène, Michał explique à un policier pourquoi l’indice était un vrai indice, et la réaction qui s’ensuit est un bel exemple de l’humour polonais aux dépens des forces de l’ordre.

L’humour est vraiment polonais : on y trouve beaucoup de blagues avec l’alcool, la milice, les russes, les américains, etc. Quelques blagues marcheront seulement pour ceux qui ont une bonne connaissance de l’époque. Mais dans l’ensemble, le film tient vraiment bien le coup. L’explication des « pouvoirs surnaturels » de la gitane est élégante, et avec un peu plus d’effort, le matériau aurait pu donner une énigme excellente. Mais le film tel qu’il est n’est pas si mal que ça—le « comment » et le « qui » sont  bien expliqué avec des bons indices, et l’humour est excellent. J’espère qu’un « Age d’or » est en train de commencer en Pologne, car l’imagination qu’on trouve dans ce film est excellente.

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